Pixelated Portrait

Un monde à la dérive

François Chaslin 
31/10/2019


Je suis enfin, depuis deux heures, en possession de ces kilos de réflexion que j’ai été chercher en autobus dans un dépôt UPS au fin fonds de ma triste banlieue (on y vend aussi des DVP, essentiellement pornographiques tant est grande, ici, la misère sexuelle).

Voici donc reliée en deux volumes la chronique de quatorze Años alejandrinos, soit deux septennats selon l’ancienne règle de la république française des pharaons. Et, si tu étais resté à El País, deux seraient encore à paraître (qui feraient quatre) et puis un dernier à propos des riantes années 2021 à 2027... J’avais lu nombre de ces articles car je me suis efforcé durant des années d’acheter El País le samedi, surtout pour le supplément Babelia. Et puis j’ai cessé ou pratiquement, dès lors qu’après ton départ l’architecture s’y est faite plus rare.

J’ai écouté Norman Foster et Rafael Moneo en parler avec toi sur YouTube. Norman, amical, vanter «your extraordinary perceptive eye» et qualifier cette édition de page-turner (ce qui est exact).

Moneo, très sérieux, un peu plus laborieux aussi car il lisait ses notes, célébrer ta «capacidad de comunicación» et «de interpretación» et affirmer que peu de journaux, «no muchos periódicos ni europeos ni americanos» avaient autant fait pour la diffusion de la culture architecturale et sa mise en relation avec les autres dimensions politiques, économiques et culturelles de l’époque. «Aucun ne l’avait fait» eut été plus précis. Aucun.

Et je t’ai entendu, toi, expliquer parfaitement ton projet: en auteur, en illustrateur et en éditeur.

Bravo, cher Luis, pour ce demi-million de mots, ce «retrato pixelado» non seulement de ce que nous avons vécu comme architectes mais aussi en tant que citoyens d’un monde à la dérive. Tes deux centaines et demie d’articles y sont magnifiquement pensés et écrits, magnifiquement illustrés, strictement mis en page à la manière devenue classique de tes deux revues. Et j’ai découvert tes esquisses de maquette graphique, dessinées à la façon des storyboards des cinéastes, impeccables elles aussi.

Et j’ai enfin compris ton titre qui m’intriguait. Le pourquoi de ces Años alejandrinos, de ces «temps alexandrins», de ces temps hellénistiques auxquels tu compares les nôtres. Et ce jeu sur le septennat justement, le double septennat de quatorze années: je ne savais pas que les alexandrins espagnols sont de quatorze syllabes, avec césure, les français ne sont que de douze. Alors je t’en livre deux. Ils sont de Racine, extraits de sa tragédie de 1697: Alexandre le Grand.

«Allez donc, retournez sur le champ de bataille, Ne laissez point languir l’ardeur qui vous travaille.»


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